fabrice neaud : JOURNÉeS gay
journal_ plusieurs tomes (édition EGO comme X)
texte datant du 20 février 2001

Utiliser la bande dessinée comme un journal intime est une attitude rare à signaler en BD.

La démarche n'est pas profondément originale puisque d'autres mediums, surtout la litterature, ont élevé le statut du journal comme une oreuvre d'art à part entière. Le journal est à l'origine de l'écrit, purement de l'écrit dans le sens de la narration. Si l'on aborde le domaine de l'image, ce sont les peintres comme Delacroix qui ont apporté au journal une sorte d'équivalent aux carnets de voyage.
Utiliser donc l'image et le texte pour une narration quotidienne est presque unique même si la bande dessinée est facilement décrite par l'association simple du texte et de l'image. Il s'agit, en fait, de la première définition de l'origine de la bande dessinée donnée par Goethe.

Que propose donc Fabrice Neaud avec ce journal?
Certains seront séduits par la durété des mots et des circonstances, par la crudité des sentiments et la description viscérale d'un jeune homme homosexuel, sans emploi, artiste qui crie ou agonise à chaque chapitre. D'autres critiqueront l'exagération, le ton emphatique parfois trop utilisé pour cerner une attitude ou une réaction, là où l'intimité devrait s'accorder avec une délicatesse et une élégance feutrée. Le jeune homme a tous les problème de la Terre: problèmes de relation, de coeur et d'argent aussi.
D'un journal, essentiellement, nous attendons la narration et la véracité et ce qui sonne vrai a des accents de pureté et d'honnêteté. En quelque sorte, se raconter en écrit est la réflection de l'autoportrait en peinture. Le spectateur pense mieux comprendre sur la peinture, sur la personne représentée car c'est le peintre qui s'est lui-même peint. Mais il n'en est rien. Un autoportrait comme une nature morte est une peinture, une représentation. On apprend rien sur la personne, comme les photographies de Thomas Ruff. Donc d'un journal en bande dessinée, pour ma personne, je n'attends rien de la véracité des propos. Je ne ne fais pas le procès de l'intimité mais je recherche avant tout une sévère sincérité et paradoxalement, ce n'est pas une auto mise en scène qui me renseignera sur la personne.
Le journal est un aveu d'impuissance face à la fiction car de ce dernier, déjà on sait qu'il ment. Le récit autobiographie porte toujours une auréole de mensonge et de fiction; il en devient impur.

Doit on donc critiquer le journal en bande dessinée?
La moitié des réactions des personnages décrites dans la BD tournent autour justement de leur attitude face à la découverte de leur présence dans le journal. Narcissique, le journal se concentre sur lui même jusqu'à devenir le seul sujet et c'est certainement là que réside la principale propriété du journal. Dès qu'il est mise à nu, il change les comportements. Ceux-ci deviennent forcés. Comme lorsqu'on vous filme avec un camescope, vos gestes se modifient et vous vous mettez en scène pour être finalement vu sur une télé, un objet qui sert à mettre en scène, où la majorité des choses vues sont mises en scène. Etrangement, le journal est et reste associé à l'anonymat, à ce qui ne doit pas être dévoilé. Mais pourtant tout comme le trésor qui est ce que l'on cache et ce que l'on cherche à la fois (Alain), le journal ne doit sa respectabilité et sa reconnaissance que lorsqu'il est donné à voir. Hypocrite serait donc le rendu du journal.

Qu'offre donc à voir Fabrice Neaud?
Ce qui est indéniable, c'est que Fabrice Neaud est un pur dessinateur de BD, pas un illustrateur de BD. On sent la multitude d'influences de Bds, d'Otomo à L'association. Tout y passe et c'est fabuleux. de plus, il est un vrai dessinateur tout court. En existe t-'il encore? Et bien oui, lui, en voilà un! Il y a un grand respect lorsqu'on lit son journal car on peut être étonné graphiquement. La plume, le pinceau; on sent l'outil et le support. Cela fait énormément plaisir. Son style est le style du dessinateur, efficace, opportun. Le dessinateur ne dessine pas, il signe. Ici réside la différence entre l' illustrateur et le dessinateur: le trait comme unique forme de signature. Et lorsqu'on signe, on est forcément auteur.
Là où échoue régulièrement l'Association avec une maladresse desespérante dans tous les domaines et à ennuyer pour ennuyer, Fabrice Neaud réussit l'exploit d'associer la rugosité des mots à la noblesse du tracé. Son pouvoir plasticien répare les rares erreurs de bd pour en faire une boule d'énergie visuelle. Son art n'est pas sélectif, il englobe. Il traite souvent dans ses mots du deuil, celui d'une relation, d'une réaction, d'une envie. Associé à une Bd en noir et blanc, le deuil est quelque chose qu'on regarde mais qu'on ne subit pas forcément. Le noir dans cette Bd est le geste, et le blanc le repos du papier, c'est dans cet équilibre incertain que le travail place aisément la certitude de ses intentions plastiques.

Peut on dire que le journal de Fabrice Neaud est une grande bande dessinée?
Certainement et c'est sûrement ce qui se fait de mieux en bande dessinée éditée en France. Mais il est facile d'obtenir la première place quand la médiocrité qui vous entoure est si déconcertante. Fabrice Neaud réussit cela dans tous les domaines, celui du dessin, du texte et de la bande dessinée pure.